Sophie Devienne « Les nouvelles technologies posent la question de l’emploi en milieu rural »
L’accélération de la productivité du travail va de pair avec la baisse du prix des produits agricoles payé aux producteurs.
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Quelle est la conséquence de l’arrivée des nouvelles technologies dans le secteur agricole ?
Sophie Devienne : Une accélération des gains de productivité du travail plus rapide que celle observée entre 1950 et 1995. On peut parler de révolution agricole du XXIe siècle. Précurseurs en la matière avec le recours à l’informatique (GPS et tracteurs autoguidés) et aux biotechnologies (OGM) dès le milieu des années quatre-vingt-dix, les États-Unis ont pu renforcer la compétitivité de leur agriculture et avoir une politique offensive sur les marchés mondiaux. Dans ce pays, l’agriculture est ainsi l’un des rares secteurs d’activité dont la balance commerciale est positive. Cela est créateur de richesse : on estime que chaque dollar exporté crée un peu moins de 1,50 dollar de richesse pour le pays. Mais le corollaire est la destruction d’emplois en milieu rural.
Ces technologies ne participent-elles pas à l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs ?
S.D. : Mon point de vue est pessimiste. Mais c’est parce qu’il prend en compte la diminution de l’emploi agricole et aussi, par ricochet, tous les emplois induits. Cette révolution agricole pose donc la question à la collectivité de l’emploi en milieu rural et de son impact sur l’occupation du territoire, du développement d’autres activités, comme le tourisme vert, ou de la perte des savoir-faire. Aux États-Unis, la désertification de pans entiers du territoire participe in fine à la détérioration des conditions de vie liée à la rupture des liens sociaux. Elle crée de véritables situations de détresse que l’on observe également en France aujourd’hui.
Quel est l’impact de cette augmentation de la productivité du travail sur l’économie des exploitations ?
S.D. : Comme dans n’importe quel secteur de l’économie, les gains de productivité du travail s’accompagnent d’une baisse des prix (voir la rubrique « L’essentiel » p. 7). Or, en matière de gains de productivité, l’agriculture française, comme l’agriculture américaine, est l’un des secteurs d’activité les plus dynamiques. En France, la production laitière apparaît d’ailleurs en avance sur d’autres filières pour l’acquisition des moyens de production de cette nouvelle révolution. Le recul que nous avons sur l’exemple américain laisse craindre la poursuite des gains de productivité et de la baisse tendancielle du prix, et cela même si la Chine continue d’acheter du lait. Il s’agit ensuite d’un engrenage : pour compenser la baisse de revenu, les éleveurs cherchent à accroître les volumes produits par actif en investissant dans ces équipements de haute technologie. Mais là encore, ce que montre l’exemple américain, c’est que dans cet engrenage, il n’y aura pas beaucoup d’élus : là-bas, 3 % des exploitations détiennent 49 % du cheptel laitier.
La production générant moins de recettes, les éleveurs ont-ils d’autres choix que de miser sur les volumes ?
S.D. : Oui ! Sachant qu’en monnaie constante, le prix du lait évolue à la baisse, alors qu’en même temps, le prix des intrants et des équipements s’accroît (voir p. 7), trois voies se dessinent : soit l’agriculteur décide d’investir pour agir sur le volume/actif, soit il active le levier de l’amélioration du prix de vente via les circuits courts ou l’agriculture bio, soit il prend la voie d’un système de production économe. En élevage laitier, les systèmes herbagers qui valorisent au mieux leur écosystème et réduisent le recours à des intrants et à des équipements coûteux, se révèlent intensifs du point de vue de la création de valeur ajoutée par hectare, performants en termes de productivité économique du travail, moins dépendants des aides et plus résilients en situation de crise. De plus, les études réalisées sur le terrain par nos étudiants et nos travaux de recherche montrent que l’autonomie des exploitations ne contribue pas à la disparition de l’emploi dans le milieu rural, car la création de revenus agricoles qu’elle permet excède la réduction d’activité en amont et en aval.
Propos recueillis par Jérôme PezonPour accéder à l'ensembles nos offres :